Un texte écrit hier soir en atelier d'écriture aux Thétards. Bien sûr, tout ce qui suit est vrai.
Maggy avait préparé un petit paquet plein de cerises pour notre propriétaire, qui habite à quelques mètres de notre appartement. Elle y avait épinglé une carte disant « bon printemps », ou quelque chose dans le genre. Je suis allé à pieds le lui apporter, accompagné de Maya. La vieille femme a eu l'air de vraiment apprécier le geste, au point qu'elle nous a offert en retour une boîte de pâté.
J'ai glissé la boîte dans mon sac. Une simple boîte en fer blanc, contenant des « grillons de la tante Francine », selon l'étiquette. Je suis rentré avec Maya, après avoir fait un long détour par la Voie Verte, histoire de profiter un peu du beau temps de cette matinée. De retour à la maison, j'ai posé la boîte sur la table de la cuisine et j'ai raconté l'anecdote à ma femme. Elle a rigolé et a proposé d'ouvrir le pâté pour le manger à midi.
_ Comme ça, on verra ce que donne la tante Francine, à-elle déclaré.
Le repas a été prêt rapidement. Soupe et tarte aux légumes. J'ai dressé la table. Maya tournait autour de nous en gesticulant, comme à chaque fois que nous nous activions. J'ai pris un ouvre-boîte, je me suis assis et j'ai appelé ma fille.
_ Regarde bien.
J'ai manœuvré la lame courbe et le métal s'est entaillé. Ses petits yeux se sont écarquillés. Bientôt, l'opercule s'est détaché et j'ai pu lui montrer le contenu de la boîte : Rien.
_ Tagada, a dit ma fille de deux ans.
Traduction : c'est parti.
J'ai appelé Maggy pour lui montrer l'incongruité de la chose. Elle a mis plusieurs secondes à comprendre que notre cadeau n'était qu'une coquille vide.
_ Elle s'est bien fichue de nous.
_ C'est plutôt la tante Francine qui s'est fichue d'elle.
J'ai ouvert la poubelle et j'y ai machinalement jeté la ferraille. Elle est tombé au fond dans un bruit mat.
_ Dis-donc, ai-je lancé. Y'a pas de sac.
_ Y'en avait un hier.
Après un temps d'observation, elle s'est penchée et a ouvert le placard de sous l'évier.
_ Tagada !
_ Mais... Mais qu'est-ce que t'as fait des affaires de ménage ?
_ J'ai rien fait du tout ! me suis-je défendu.
Énervé, j'ai ouvert en grand le placard blanc, la réserve de nourriture.
_ Tagada ?
_ Mais c'est pas possible. C'était plein ce matin.
Maggy s'est précipitée vers le placard à vaisselle. Vide. Le tiroir à couvert. Vide. Le meuble à épices. Vide
_ On a été dévalisés, s'est-elle écriée.
Les tiroirs à saloperies-qu'on-ne-sait-jamais-où-ranger. Vides. Le placard des tasses et des mugs. Vide.
_ Mais non, ai-je compris. C'est depuis qu'on a ouvert cette fichue boîte. Tout ce qu'on ouvre est vide. Tiens, je suis sûr que le frigo est vide.
J'ai tiré sur la poignée blanche. Il ne restait plus que les grilles et les bacs à légume. Tout était propre, tout était net. Pas une odeur. Maggy s'est collée à moi.
_ Mais qu'est-ce qu'on va faire ?
J'ai ouvert la porte du salon. Vide. Plus un meuble. La pièce était telle qu'on l'avait vue lorsqu'on avait visité l'appartement un an plus tôt.
_ Tout est en train de disparaître, a hurlé ma femme.
Maya s'est mise à pleurer. Maggy l'a prise dans ses bras. J'ai attrapé le téléphone. Répertoire vide, bien entendu. Nous sommes resté groupés, tremblants et paniqués. Par la fenêtre nous parvenaient les bruits de la ville. J'y ai pensé mais je n'ai pas osé l'ouvrir, de peur que toute vie sur terre de ne disparaisse. À la place, nous nous sommes déplacés jusqu'à la salle de bain, en nous serrant très fort la main. Ici, il n'y avait même plus de lavabo ni de douche, juste des tuyaux qui sortaient du sol, comme dans une maison en travaux. Par contre, il restait un miroir, celui qui était normalement accroché au-dessus du lavabo. J'y ai jeté un coup d'œil. Dans le reflet, tout était revenu à la normale. Serviettes suspendues aux patères, jeux du bain, boites de médicaments, panier de linge sale.
Mais nous, nous n'y étions pas.