Je suis en train d'écrire un roman (la suite de Décadence), avec une alternance de 4 points de vue, qui sont les quatre membres d'un groupe. Il s'avère que, vers le milieu de l'histoire, il arrive à mon groupe une chose surprenante et que c'est au tour du membre aveugle de mon groupe d'en être le spectateur.
Faire ressentir les évènements par un aveugle, c'est mieux que ça n'y parait. Ca permet de varier les verbes, de mettre les autres sens à l'honneur, d'inclure des dialogues qui servent de description. Sans compter le côté dépaysant de l'expérience.
Mais là, dans ce cas précis d'une des scènes les plus impressionnantes du bouquin, je ne sais pas si c'est une bonne idée. Lis plutôt et fais-toi ton avis :
Ils avaient établi un campement près d'un cours d'eau, dans une zone épargnée par la neige. Ils ne pensaient pas pouvoir suivre l'ouest une journée de plus, tant la foret le semblait désormais proche. Ils attendaient de voir quelle direction leur proposait de suivre le chemin.
Ils s'étaient tous endormis, emmitouflés dans une couverture, en cercle autour de leur feu.
Sayed ne fut pas réveillé par les bruits de sabots. Son réveil était bien trop profond pour cela. Il n'entendit pas les voix, qui scandaient des ordres dans un dialecte incompréhensible. Il ne perçut pas les lumières des dizaines de flambeaux qui dansaient dans l'obscurité. Ce fut la voix étranglée de Fahim qui l'extirpa de ses songes.
_ Papa, il faut se lever.
L'aveugle perçut une peur puissante dans les intonations de son fils. Aussi fit-il un effort pour s'arracher à ses rêves colorés et se concentra-t-il sur le réel.
_ Que se passe-il ?
_ Pas le temps. Lève-toi. Accroche-toi à moi.
Sayed se leva en chancelant. L'air froid lui arracha des tremblements. Il voulut prendre sa couverture mais Fahim l'entraîna à sa suite.
_ Dépêche-toi. Par là.
_ Est-ce que des brigands nous attaquent ?
_ Je ne sais pas, souffla Fahim.
Le vieil aveugle se laissa conduire par son fils, qui l'aida à grimper à l'arrière de leur charrette. Il entendait désormais les éclats de voix qui naissaient un peu partout autour de lui : « Roch-ja ! » « Garok ! ». Il n'avait rien entendu d'aussi étrange de sa vie. La charrette démarra, et les voix se turent. Il se passa une déciheure avant que quiconque ne parle.
_ Vous allez bien ?
C'était la voix de Badia. Fahim supposait que Carl se trouvaient avec eux. Ils étaient tous prisonniers à l'arrière de leur propre véhicule.
_ Oui, fit Fahim, d'un ton plus assuré que précédemment. Et toi Carl ?
Un long grognement retentit. Manifestement, le matiériste avait mal, ou n'était pas d'humeur à parler, ce qui se produisait de plus en plus souvent ce derniers temps.
_ Quelqu'un peut me dire ce qui s'est passé ? demanda Sayed.
_ Ce n'est pas très clair, avoua Fahim. Des dizaines d'individus sont apparus. Ils étaient armés de lances et leur armure semblait être en écorce d'arbre. Tu as dû comprendre qu'ils ne parlaient pas notre langue.
_ Je comprends pas, commenta Badia. Jusque là, tous les gens que j'ai rencontrés parlaient la même langue que moi.
_ Oui, approuva Fahim. Mais le plus étonnant, c'est qu'ils chevauchaient des morques.
_ Je te demande pardon, s'excusa Sayed qui pensait ne pas avoir saisi le dernier mot. Ils étaient sur quoi ?
_ Des morques.
_ Ces animaux sauvages hérissés d'épines ?
_ Oui.
Voilà. Quelques lignes de dialogues pour décrire les hommes qui chevauchent des morques, des bestiaux grosses comme des taureaux et épineux comme des hérissons. Au lieu de plusieurs paragraphes de descriptions, les lumières qui se reflètent sur les lances, les bêtes qui tappent du sabot, les regards farouches des assaillants, j'en passe.
Mais en même temps, j'aime bien le côté minimaliste du point de vue. On se demande bien ce qui se passe, et je pourrai décrire les bêtes et les hommes dans le paragraphe suivant.
Bon... A voir.