Mon objectif était de décrire un endroit "poétique", quoi que cela veuille dire, et je suis parti du titre.
Pour info, je suis en train de lire la cité du Gouffre, d'Alastair Reynolds et son style a indubitablement inspiré ma prose.
Le courant de la Ronde m'emportait de plus en plus poussivement depuis que j'avais dépassé les rapides de Tene-Gehit, et c'est avec une lenteur presque magique que j'arrivai à la hauteur de l'île aux cheveux. Elle m'apparut tout d'abord comme une ligne brune posée sur le bleu-gris du fleuve, rien de plus qu'une illusion d'optique. Puis elle gagna en épaisseur, en réalité, et emplit entièrement l'horizon. La Ronde faisait à cet endroit un gigantesque grand écart pour éviter cet îlot, comme posé au milieu de son lit par un géant précautionneux, et il m'aurait fallu de grands efforts pour empêcher mon radeau de s'échouer sur la plage de sable qui bordait l'île.
J'avais déjà entendu parler de ce lieu. Une île sur laquelle poussait une plante unique, rare, dont les racines plongeaient dans le sol sableux jusqu'à l'eau de la Ronde. Sa surface en était entièrement recouverte, et les hommes qui cultivaient ce végétal déambulaient sur des petites échasses pour écraser le moins de possible de cette herbe miraculeuse. Car cette plante – dont le nom m'échappait, mais que l'on appelait communément « herbe à cheveux » était vendue à prix d'or dans le monde entier pour servir dans la confection de perruques de luxe, destinées aux mages atteints de la Décadence.
Je tirai mon esquif sur la plage et fit quelques pas en direction de l'intérieur de l'île. Je ne pus m'empêcher de ressentir un frisson à la base du crâne. On aurait vraiment dit qu'un tapis de cheveux poussait à même le sol. Bruns, roux, blonds, noirs, les tiges passaient par les mêmes nuances que les cheveux humains ; ils formaient des groupes de couleurs homogènes de plusieurs mètres carrés, ce qui donnait l'impression de se trouver face à un immense patchwork soyeux.
Je me penchai pour caresser les plantes qui poussaient près de moi. Leur douceur surpassait largement celle de mes propres cheveux – je ne m'étais pas offert le luxe d'un bain depuis des semaines – et leur texture rappelait celle des cheveux des bébés. A la différence des lourdes tignasses qui retombaient mollement sur le crane des hommes, ces fibres se dressaient comme des bruns d'herbe d'une infime finesse et ondulaient à la moindre brise. Peut-être retombaient-ils sans vie lorsqu'on les arrachait. Je résistait en tout cas à vérifier cette hypothèse et entrepris de contourner le champ en suivant la grève par le Nord. J'espérais bien rencontrer des cultivateurs et je ne voulais pas risquer de me faire mal voir en laissant mes empreintes grossières dans leur incroyable champ.