Jean-Hugues avait un sourire large comme un buffet de belle mère, et il était accroché à sa figure toute la journée. Lorsqu'on le voyait, on ne pouvait s'empêcher de sourire à son tour, qu'on soit gai ou pas. Certains lui rendaient visite rien que pour ça, parce qu'ils savaient que ça leur remonterait le moral.
Un jour, la mère de Jean-Hugues décéda. Les funérailles furent déchirantes de tristesse, mais Jean-Hugues conservait son sourire. Il pleurait, mais sa banane ne fléchissait pas. C'est à partir de ce jour que les gens comprirent qu'il y avait un problème.
Jean-Hugues était un garçon très discret. Il illustrait des ouvrages pour enfant et travaillait chez lui. Qui aurait pu imaginer qu'un gars qui passait ses journées à dessiner des petits lapins et des sorcières pouvait être dépressif ? Surtout avec ce sourire éclatant comme une publicité pour de la joie de vivre en boite.
On était un groupe à bien l'aimer, le Jean-Hugues. On le connaissait depuis le lycée et, depuis, on s'efforcer à le traîner dehors, à lui payer des coups. Dans les bars, avec son sourire visible à des kilomètres, il nous rendait immédiatement sympathique auprès des filles. C'était notre joker. On l'utilisait mais il se laissait faire. Et on pensait que ça lui plaisait, vu la tête qu'il faisait toujours.
Après la mort de sa mère, on s'est rapproché un peu. On essayait de savoir ce qui se passait, chez lui, derrière les murs épais de la demeure familiale. En cinq ans, on n'a rien trouvé d'autre qu'une maladie neurologique qui l'empêchait de tirer la tronche. Quoi que soit la raison de sa tristesse intérieure, elle nous est restée invisible.
Jusqu'au jour où il est arrivé en ville.
Il faut savoir que Jean-Hugues détestait les chauves-souris. Une vraie phobie. C'était la seule chose qui arrivait à ternir son sourire, à le rendre... effrayant. Alors, bien sûr, un homme déguisé en chauve-souris, ça l'a rendu fou, notre joker. Complètement fou.